La nuit recouvrait les rues de Réveil d'un voile noir et inquiétant. Les couloirs du grand quartier général de Pandora étaient éclairés par quelques chandelles. Dans l'un des bureaux de l'administration, une douce lumière s'échappait de la porte entrebâillée. Un homme travaillait tard. Il était arrivé au QG un peu plus tôt, en début d'après midi. A peine installé, on lui avait mis dans les bras tous les papiers qu'il devait rattraper depuis la dernière fois qu'il était venu. Cela faisait... presque un mois. En effet, le jeune homme, Riffel Raffit, était aussi un majordome à temps plein. Il faisait parti de l'organisation de Pandora non pas pour arrondir ses fins de mois car il vivait très bien, mais parce que cela lui faisait plaisir et puis... Son maître en faisait parti aussi. Il ne serait pas tout à fait tranquille de la savoir toujours en vadrouille, mettant sans doute sa vie en danger. Le jeune homme ne se plaignait pas de tout le travail qu'il devait fournir au manoir Hargreaves et ici même. Il était heureux de le faire, même si tout cela l’éreintait. Il devait se lever tôt, car un majordome est toujours le premier debout, administrer leurs tâches aux autres domestiques, réveiller Lord Cain, remplir des papiers, préparer la venue des visiteurs s'il y en avait, faire le thé, être à disposition pour son maître... Il n'avait donc pas toujours le temps de passer au Quartier Général pour remplir ses dossiers et remplir des missions. D'ailleurs, il en avait à rattraper des missions, il devait en faire au moins une pour ne pas être trop inactif. Depuis ce matin, le jeune homme courait dans tous les sens...

Ce matin-même, il n'avait pas eu besoin de réveiller son maître, généralement empêtré dans ses draps puisqu'il n'était pas rentré au manoir depuis la veille. Le majordome était allé vérifier de ses propres yeux. Parfois il rentrait tard le soir, mais visiblement ce n'était pas le cas. Où bien peut-être était-il reparti très tôt ? Mais Riffel se levait presque avant que le soleil n'apparaisse, alors cela lui paraissait improbable. Au lieu de se tourner les pouces et à se morfondre, il avait fait comme d'habitude mais avait eu plus de temps pour ses tâches. Cela lui avait permis de se rendre au Quartier Général de Pandora pour se mettre à jour. Le chef de l'administration, court sur patte, moustachu et râleur, lui avait remonté les bretelles avant de le laisser en plan avec une pile de dossiers -ses propres dossiers- dans les bras. Riff avait poussé un léger soupire avant de monter jusqu'à son propre bureau et de commencer à rédiger. Son poignet avait chauffé sur les feuilles empreintes à présent de sa belle écriture légèrement courbée. Avait-il déjà fait autant de ligne en une après-midi ? Il n'en avait pas le souvenir. Par ailleurs, le majordome n'avait pas complètement terminé sa besogne. En effet, encore quelques feuilles se promenaient sur la pile des dossiers à faire. Mais la majorité avait été faite. Il s'adossa au dossier de sa chaise et passa une main fatiguée dans ses cheveux blonds -d'un blond si pâle que la teinte en devenait presque argenté-. Riffel se leva pour allumer quelques chandelles supplémentaires car la cire fondait vite et celles qu'il avait allumées étaient presque éteintes maintenant. Il craqua une allumette et la flamme s'éleva dans l'air, vacillante, projetant sur le mur une ombre qui semblait danser. Elle brillait intensément et se reflétait dans les yeux bleus de Riffel. Il crut apercevoir une emprunte de son passé partit en fumée. Plutôt que de se laisser aller aux souvenirs inutiles, il tourna le dos à cette flamme orangée et fit les cent pas un instant, afin de détendre les muscles de ses jambes. Il avait l'impression de ne plus en avoir, assis depuis tout ce temps. Son dos et ses mains étaient raides. Riffel entrebâilla la fenêtre pour que l'air nocturne vienne caresser sa peau. Il se demandait où pouvait bien être Lord Cain à cette heure tardive. Etait-il au moins rentré au manoir ? Il disparaissait toujours ainsi. Parfois il laissait une lettre, parfois rien du tout. Riff devrait pourtant y être habitué depuis le temps, mais les choses se passent ainsi lorsque l'on tient à quelqu'un: on s'inquiète pour lui. Le jeune homme ne cesserait sans doute jamais de s'inquiéter pour son maître.

Riffel ferma les yeux, s'abandonnant à cette petite pause. Il n'entendait plus un bruit depuis une heure ou deux dans les couloirs. Tout était d'un calme parfait. Il savait pourtant qu'il y avait toujours quelqu'un ici, toujours quelqu'un qui travaillait tard, qui surveillait les lieux. Le calme nocturne fit battre son cœur un peu plus vite que la normal. Le mystère, le silence, la solitude... Tout cela était apaisant, Riff le sentait au plus profond de lui. Il referma la fenêtre après cette courte pause et retourna s'asseoir devant son bureau. Il saisit le stylo qui traînait au dessus d'une feuille, saisit un nouveau dossier et enchaîna le travail. Au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient, Riffel bataillait afin de garder les yeux grand ouvert. Toutefois, il finit par s'assoupir lentement. Sa main lâcha son stylo dans un petit soubresaut et sa tête se pencha doucement sur sa poitrine. Il dormait d'un profond sommeil peut-être réparateur. Sa poitrine se levait et se baissait au rythme de sa respiration régulière. Le calme était complet cette fois-ci... Une à une, les chandelles s'éteignirent, la cire fondue. Les flammes ne laissèrent sur leur passage qu'un léger trait de fumé dans la pièce qui s'évanouit aussitôt apparu.

Les rêves sont produits par l'inconscient. Ils permettent aux gens de survivre, de ne pas devenir fou. Sans les rêves, l'être humain ne pourrait assouvir toutes ses fantaisies, il serait coincé dans la banale réalité du quotidien. Riffel rêvait lui aussi. Mais ses rêves étaient agités, étranges... Il se tenait au milieu d'une immense foule, dans une sorte de fête foraine ou de parc d'attraction. Il ne savait ni se qu'il faisait là ni pourquoi. Il regardait tout ces visages, des personnes inconnues qui riaient. Le son, aux oreilles de Riff, était lointain, très lointain... Une sorte de murmure qui tintait à ses oreilles. Il pouvait surprendre leur rire, plus fort que les bruits des manèges, mais il ne captait pas leurs paroles. Ces gens ne semblaient pas le voir, le jeune homme était comme un étranger, il n'existait pas. On passait à côté de lui sans lui jeter un coup d'oeil. Riffel ne comprenait pas. Il ne comprenait pas pourquoi toutes ces personnes étaient si heureuses. Il ne ressentait qu'un abîme béant au fond de son être et de son cœur. Quelle était cette sensation ? Il n'arrivait pas à sourire. Un fossé entier le séparait de ce monde empli de joie. Lui, tout éclat de rire l'avait quitté depuis se qui lui semblait être un nombre d'année incalculable. Pourquoi ne pouvait-il par être heureux comme tout ces gens ? Il courut après une jeune fille: « Mademoiselle ! Comment faites-vous pour sourire ? » elle ne l'entendait pas. Riffel interpella alors un homme accompagné de ses enfants: « Monsieur ! Pourquoi êtes vous heureux ? » Il se retourna mais ne le fixa pas directement. Sa voix retentit aux oreilles du jeune homme comme une mer de rochers s'entrechoquant. « Tu ne poses pas la bonne question, Riffel Tu n'existes pas, ici. » Tout ce décor disparut soudainement. Maintenant, Riff se trouvait tout seul, sur une plage abandonnée, face à une mer calme. Le couché de soleil se reflétait sur l'eau, lui donnant des reflets argentés et rouges. Seul, mélancolique, il leva la tête vers un ciel rougeoyant: « Pourquoi suis-je si triste ? » La mer s'agita soudain et il fut emporté par une vague, tourbillonnant à travers les flots, il se noyait, avalant de l'eau salé, suffoquant... Tout son être tremblait. Une voix, au loin, lui criait quelqu'un chose, il l'entendait au creux de son oreille sans réussir à comprendre les paroles. Et c'est cela qui lui fit ouvrir les yeux alors qu'il coulait lentement au fond d'un océan déchaîné...

Riffel ouvrit les yeux, suffoquant. Il prit une grande inspiration et redressa brusquement la tête comme s'il venait de recevoir un brusque choque. Son cœur affolé tambourinait contre sa poitrine. S'il ne c'était pas réveillé, serait-il mort, noyé dans son propre cauchemar ? Ses yeux tombèrent sur le visage d'une personne qu'il ne s'attendait absolument pas à trouver en ses lieux. Riff reprit graduellement son souffle avant de s'étonner:

« My Lord ? Mais... Que faites-vous là ? o.o »

Le pauvre Riffel était complètement perdu.